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Dogme et oecuménisme

par Charles Morerod, o.p.
 

   

(Nova et Vetera, n° 1.2, janvier-juin. 2003)

 

 

 

Dans la recherche de l’unité des chrétiens, les dogmes proclamés par l’Eglise catholique depuis les différentes scissions sont souvent perçus comme un problème. En cas de réalisation de l’unité visible qui est en principe le but du dialogue œcuménique, les autres chrétiens devront-ils accepter les dogmes de l’Immaculée Conception (proclamé en 1854), de l’infaillibilité pontificale (1870) et de l’Assomption (1950), ou encore le Filioque ? Cette question a été explicitement évoquée par la Commission de dialogue entre anglicans et catholiques romains en 1981 : « Des anglicans demanderaient également si, dans une union future entre nos deux Eglises, on les contraindrait à souscrire à de telles déclarations dogmatiques »[1].. La question ne se pose pas que par rapport au passé : l’engagement œcuménique de l’Eglise catholique l’empêche-t-elle de proclamer de nouveaux dogmes ?

Pour répondre à cette question, nous allons examiner les différents sens donnés au terme de « dogme », ainsi que certaines propositions d’interprétation des dogmes.

Une question parallèle se pose : en cas de réalisation de l’unité, qui pourrait engager la foi de tous les chrétiens concernés, afin que l’unité se situe au niveau de la foi, et de manière stable ?

Le sens du terme « dogme »

Nous entendons ici le terme « dogme » dans son sens moderne d’expression de la foi proclamée solennellement par l’Eglise (par un Concile avec le pape ou par le pape seul)[2]. Il ne correspond pas exactement à un « article de foi » : on peut dire avec Charles Journet que les dogmes sont dérivés des articles de foi[3]. Etant donné qu’ils en sont dérivés comme une expression implicite de la révélation, ils demandent une adhésion de foi.

Les théories du développement du dogme ont une histoire riche et complexe[4]. Nous essayons d’en résumer l’élément central.

La révélation est entièrement et définitivement donnée en Jésus Christ et est ainsi complète au terme de l’âge apostolique[5]. Ce caractère définitif n’empêche pas l’approfondissement par l’Eglise de la révélation : il le postule au contraire, car la dignité même de la révélation définitive implique de la transmettre et de la défendre face aux questions nouvelles qui se posent au cours des siècles, avec l’assistance de l’Esprit-Saint.

Un dogme est défini en tant que révélé par Dieu, en ce sens qu’il exprime le sens implicite de la révélation, déjà inclus en elle comme les théorèmes concernant le triangle étaient implicitement contenus dans la définition de celui-ci avant d’être découverts[6]. La définition correspond désormais à l’interprétation autorisée d’un donné révélé qui jusque là était ouvert à diverses interprétations. Un dogme n’est donc que relativement nouveau : « Fait sous la lumière de l'assistance infaillible promise à l'Eglise, un tel passage de l'implicite à l'explicite donne naissance au dogme. Faudra-t-il dès lors parler de dogmes nouveaux? Ils sont nouveaux, non par leur substance, leur contenu, mais par la manière dont ils expriment et manifestent cette substance, ce contenu. L'Eglise primitive ne les connaissait sans doute pas d'une manière expresse, mais elle connaissait leur source, les articles de foi dont ils sont dérivés. Loin de les désavouer aujourd'hui, elle sentirait bien plutôt qu'elle les a toujours tenus et confessés dans leur racine et principe: tel l'homme qui a toujours refusé de se prononcer entre deux thèses contraires, quand on lui présente soudain la vérité en laquelle elles se concilient, peut dire en toute droiture qu'il l'a toujours attendue, qu'il l'a toujours crue »[7].

Questions protestantes et culturelles à propos du dogme.

Dans le dialogue œcuménique, le dogme est perçu à travers les connotations négatives que reçoit ce terme dans la tradition de la Réforme d’une part, dans la philosophie moderne d’autre part.

Les « nouveaux articles de foi » selon Calvin.

Calvin conteste les nouveaux articles de foi au nom du principe que la révélation est close : « Entre les Apôtres et leurs successeurs il y a cette différence (…) que les Apôtres ont été comme le notaires jurés du Saint-Esprit, pour que leurs Ecritures soient tenues comme authentiques, et que les successeurs n'ont d'autre charge que d'enseigner ce qu'ils trouvent être contenu aux saintes Ecritures. Concluons donc qu'il n'est point permis à tous les ministres fidèles de forger de nouveau quelque article de foi; mais qu'il faut simplement adhérer à la doctrine à laquelle Dieu nous a tous assujettis sans exception. Quand je dis cela, mon intention est non seulement de montrer ce qui est licite à chacun en particulier, mais aussi à toute l'Eglise universelle »[8]. Le principe de cette position est le caractère définitif de la révélation.

Calvin accepte toutefois les dogmes proclamés par les premiers conciles (« Nicée, Constantinople, le premier d'Ephèse, Chalcédoine et les semblables qu'on a tenus pour condamner les erreurs et opinions méchantes des hérétiques »[9]), parce qu’ils n’enseignent rien d’autre que l’Ecriture : « Car ces conciles ne contiennent rien qu'une pure et naturelle interprétation de l'Ecriture, que les saints Pères par bonne prudence ont accommodée pour renverser les ennemis de la chrétienté »[10]. Calvin doute de plus en plus des conciles successifs : « en quelques-uns de ceux [des Conciles] qui ont été tenus depuis, nous apercevons un bon zèle et des signes évidents de doctrine, de prudence et d'esprit; mais selon que le monde a coutume de décliner en empirant, il est facile de voir combien l'Eglise petit à petit a décliné de sa droite pureté »[11].

Le point à souligner est que même s’il accepte certains conciles, il les voit comme des assemblées humaines : « ils tiennent pour une résolution certaine, qu’un concile universel représente vraiment l’Eglise : se fondant sur ce principe, ils concluent sans aucun doute que tous les conciles universels sont régis directement du Saint-Esprit, et ce de fait qu’ils ne peuvent errer. Mais comme c’est eux-mêmes qui régissent les conciles, et même qui les font, tout ce qu'ils leur attribuent d’autorité, ils le prennent à la vérité pour eux. Ils veulent donc que notre foi se tienne debout, ou qu’elle tombe bas à leur plaisir »[12]. Dans ces conditions, les dogmes pourront être acceptés comme de bonnes interprétations de l’Ecriture, mais ils seront simplement œuvre humaine.

Dogme et Parole de Dieu chez Karl Barth.

Dans sa fameuse Dogmatique, Karl Barth perçoit le dogme au sens catholique comme une mise en cause de la Parole de Dieu.

En raison du titre même de son œuvre, Barth doit préciser que, pour lui, « la dogmatique a pour tâche de mettre en question l'équivalence de la Parole de Dieu et de la parole humaine dans la prédication »[13]. Cette approche s’oppose à celle des catholiques : « Nous nous opposons ainsi à la définition catholique romaine des concepts de dogme et de dogmatique. Pour le catholicisme, le dogme, c'est une vérité de la révélation définie par l'Eglise, et la dogmatique, c'est la systématisation et le commentaire de ces dogmes »[14].

Pour Barth, le dogme ne jouit pas d’une prérogative réservée à la Parole de Dieu : « les dogmes ne sont pas des veritates a Deo formaliter revelatae[15]. Dans les dogmes, c'est l'Eglise du passé qui parle ; elle est véritable, elle a une autorité, elle ne parle pas sine Deo[16], mais c'est l'Eglise qui parle : elle définit, c'est-à-dire qu'elle enferme dans les dogmes, la vérité révélée, la Parole de Dieu. Et par là même, cette Parole de Dieu devient parole humaine, certes hautement importante, mais parole humaine. La Parole de Dieu est au-dessus du dogme comme le ciel est au-dessus de la terre »[17]. Nous ne nous arrêtons pas au fait de limiter le dogme au passé. L’essentiel est la différence entre parole humaine et Parole de Dieu. Barth situe clairement le dogme au plan humain : « En tant que le dogme ecclésiastique est un commandement, il est un commandement humain, un commandement donné par des pécheurs, même si ces pécheurs sont rassemblés dans l'Eglise, et en ce sens il participe à l'équivoque, à l'infirmité, à la misère des commandements humains »[18]. Il croit qu’en revanche le dogme catholique prétend se trouver au niveau même de la Bible, et que du même coup l’Eglise perd la possibilité d’écouter la Parole : « Cette identification de la Parole de Dieu et du dogme ecclésiastique fait apparaître la grandiose solitude dans laquelle doit se trouver une Eglise qui s'approprie par avance la Parole de Dieu, qui en dispose et a perdu la possibilité d'entendre une voix qui lui est extérieure »[19].

Commentaire des questions de Calvin et de Barth.

Calvin croit apparemment que les « catholiques »[20] comprennent les évêques comme successeurs des Apôtres dans tous les sens du terme (peut-être l’a-t-il entendu enseigner ainsi). Or il est clair que les Apôtres ont un rôle unique de fondation. Leurs successeurs ne sont tels que pour une partie de leur ministère : « Dire que le magistère conserve et explique le dépôt primitif, et en particulier l’Ecriture, ce n’est en aucune façon dire que le magistère de l’Eglise est au-dessus de l’Ecriture. Ce serait là une grave erreur. (…) Elle provient de ce qu’on oublie de distinguer entre le magistère exceptionnel de l’Eglise, lorsqu’elle possédait encore en elle les apôtres, éclairés par des révélations, et auteurs de l’Ecriture sainte[21] ; et le magistère permanent de l’Eglise apostolique, qui est privé de révélations, et assisté uniquement en vue de conserver et d’expliquer le dépôt »[22]. Le rôle du magistère postapostolique ne saurait être de composer des textes qui aient l’autorité du Nouveau Testament, mais de veiller à ce que le message biblique ne se perde pas : « Ces deux normes, ces deux règles, l’une apostolique, l'autre postapostolique, sont toutes deux divines. Sans la première le monde n’aurait jamais connu infailliblement, publiquement, extérieurement, la révélation chrétienne. Sans le seconde, le monde ne connaîtrait plus infailliblement, publiquement, extérieurement le sens divin de cette révélation »[23]. Ainsi, le magistère des successeurs des Apôtres, loin de vouloir supplanter l’Ecriture, trouve sa raison d’être dans la nécessité même de ne pas perdre l’Ecriture. Ainsi, il la sert en veillant sur son interprétation : « Il s’agit donc, dans le dogme de l’Eglise, de l’interprétation correcte de l’Ecriture. Dans cette interprétation le Magistère n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais bien plutôt à son service (cf. DV, 10). Le Magistère ne juge pas de la Parole de Dieu mais de l’exactitude de son interprétation »[24].

Barth a toutefois quelque raison de penser que le dogme puisse s’identifier à la révélation. Lorsque le pape Pie XII définit le dogme de l’Assomption, le 1er novembre 1950, il dit en effet, suivant en cela la tradition catholique : « Nous affirmons, déclarons et définissons comme un dogme divinement révélé… »[25], et il précise ensuite : « Si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, osait volontairement mettre en doute ce qui a été défini par Nous, qu’il sache qu’il a totalement abandonné la foi divine et catholique »[26].

Le sens de ces formules n’est pas de dire que le dogme soit l’équivalent de la Bible, mais de dire qu’il exprime le sens de l’Ecriture et donc se fonde sur elle, comme d’ailleurs le précise Pie XII (toujours à propos de l’Assomption) : « Tous ces arguments et considérations des saints Pères et des théologiens reposent sur l’Ecriture comme sur leur dernier fondement »[27]. En d’autres termes, « le contenu des dogmes n'est pas révélé par Dieu parce qu'il est défini par le magistère, mais l'inverse est vrai. La définition ne confère pas à son contenu le caractère révélé, mais elle le suppose et le reconnaît »[28]. C’est donc parce que le dogme définit ce qui est implicitement contenu dans la révélation que son autorité est celle même de la révélation. Les paroles de Pie XII concernent directement les catholiques. Dans le dialogue, on doit essayer de manifester le sens des dogmes à l’aide du critère de la hiérarchie des vérités[29], qui implique de montrer la relation des dogmes avec des vérités de foi plus centrales, par exemple : Marie est assumée au ciel avec son âme et son corps parce qu’elle intimement unie à son Fils[30] ; cela présuppose le dogme plus fondamental de Marie comme Mère de Dieu, qui à son tour présuppose le dogme plus fondamental de la divinité et de l’humanité de Jésus-Christ, mais chacun de ces dogmes est reçu avec la même foi[31].

La connotation négative du terme de « dogme » dans la culture moderne et contemporaine.

La mentalité contemporaine est bien évidemment influencée par la modernité, dont Kant est l’un des plus éminents représentants. Son refus du « dogmatisme » philosophique est connu : la pensée « critique » s’oppose frontalement à la pensée dogmatique, c’est-à-dire pour lui à une pensée qui ne réfléchit pas à ses conditions de possibilité. Il critique aussi le dogme au plan religieux. Après avoir affirmé que religion et paganisme sont comme A et non-A, Kant explique que vouloir imposer universellement des dogmes est une attitude païenne : « toute foi d'Eglise, en tant qu'elle fait passer des dogmes simplement statutaires pour des dogmes religieux essentiels, a une certaine dimension de paganisme; car celui-ci consiste à faire passer l'extérieur (l'inessentiel) de la religion pour essentiel »[32]. Cette position a un passé et un futur. On y reconnaît d’abord un héritage de la Réforme – en partie infidèle au texte des Réformateurs mais significatif de leur impact historique – à savoir l’insistance sur la dimension invisible, ou cachée, de l’Eglise, et la dévalorisation de son aspect visible. D’autre part, Kant influencera la pensée postérieure, et contribuera à donner au dogme une connotation négative.

Lorsque Schopenhauer commente l’histoire de la morale, il liquide en un instant la période médiévale, en raison de sa soi-disant référence exclusive au « dogme » : « quant au moyen âge, les dogmes de l'Eglise lui suffirent »[33]. Nous ne commentons pas la confusion entre philosophie et théologie que manifeste une telle remarque. Nous la prenons seulement comme un deuxième indice de ce qui est assez clair : la connotation négative du dogme dans la modernité.

Ajoutons, sans autre commentaire, que lorsque la postmodernité rejette la modernité, ce sont les dogmes de la modernité qu’elle rejette, en tant que dogmes. Elle rejette les dogmes de la modernité en raison de l’un d’entre eux : l’antidogmatisme.

Opposition entre dogme et l’œcuménisme.

Nous avons évoqué les oppositions ou au moins les réticences protestantes face aux dogmes catholiques, ainsi que le contexte culturel contemporain défavorable au dogme. A cela s’ajoute l’œcuménisme comme tel, que certains n’hésitent pas à voir comme incompatible avec le dogme : « Fondamentalement, l’œcuménisme, à la base ou à son niveau le plus officiel, est un dialogue rendu possible par l’existence d’une base commune et la volonté des partenaires de s’asseoir à une même table. C’est ce dernier point qui a fait longtemps obstacle à l’œcuménisme catholique, dans la mesure où le dogme officiel faisait de cette Eglise l’unique détentrice de toute la vérité. Tout dialogue œcuménique repose sur un pluralisme ecclésiologique et un certain relativisme par rapport à l’expression de la vérité »[34].

Nous essaierons ci-dessous de proposer une autre analyse, à partir d’une question : quelle alternative propose-t-on au dogme (sous ce nom ou un autre), dans l’œcuménisme ?

Après l’étude des présupposés d’auteurs non-catholiques par rapport au dogme, nous allons essayer de discerner deux approches fondamentales différentes chez les auteurs catholiques.

Présupposé positif ou négatif des théologiens catholiques par rapport au dogme.

Parmi les théologiens catholiques, qui acceptent le dogme comme tel, la compréhension de ce qu’est le dogme peut être d’abord négative – le dogme considéré comme réponse à l’hérésie – ou d’abord positive – le dogme comme meilleure compréhension de la foi.

Le dogme a d’une part une dimension de défense/maintien de la foi. Cet aspect a la même raison d’être que la révélation elle-même, car celle-ci serait dénuée de sens si elle avait dû être ensuite soumise sans assistance divine à la fluctuation des opinions humaines. C’est ce que résume Vatican II : « Ce que Dieu avait révélé pour le salut de toutes les nations, il a décidé dans sa très grande bonté de le maintenir à jamais intact et de le transmettre à toutes les générations. Aussi le Christ Seigneur, en qui toute la révélation du Dieu suprême reçoit son achèvement, ayant accompli lui-même et proclamé de sa propre bouche l'Evangile promis auparavant par les Prophètes, ordonna à ses Apôtres de le prêcher à tous  comme la source de toute vérité salutaire et de toute discipline morale, en leur communiquant les dons divins. L'ordre du Christ a été fidèlement exécuté par les Apôtres (…) Pour que l'Evangile fût gardé à jamais intact et vivant dans l'Eglise, les Apôtres ont laissé comme successeurs les évêques, auxquels ‘ils ont transmis leur propre charge d'enseignement’ »[35]. Comme le relève John Henry Newman, on pouvait s’attendre à ce que Dieu veille au maintien de la révélation par une autorité extérieure : « dans la mesure où il y a probabilité de développements vrais, de doctrine et de pratique, au sein du plan divin, dans cette même mesure il y aura probabilité pour que ce plan ait ménagé une autorité extérieure pour en juger, pour les séparer de la masse de spéculations purement humaines, d'extravagances, de corruptions et d'erreurs au milieu de laquelle ils se produisent. C'est pas autre chose que la doctrine de l'infaillibilité de l'Eglise »[36].

Le dogme ne se limite pas à son aspect statique (garder et défendre la foi). Vatican II signale aussi un aspect dynamique, d’approfondissement de la foi : « Cette Tradition qui vient des Apôtres se développe dans l'Eglise sous l'assistance du Saint-Esprit : grandit en effet la perception des choses et des paroles transmises, par la contemplation et l'étude qu'en font les croyants qui les gardent dans leur cœur, par la pénétration profonde des réalités spirituelles qu'ils expérimentent, par la proclamation qu'en font ceux qui avec la succession épiscopale ont reçu un charisme assuré de la vérité »[37]. Le dogme est un aspect culminant de la contemplation de la révélation.

Suivant qu’ils insistent surtout sur le premier aspect, ou aussi sur le second, les théologiens catholiques auront différentes appréciations du rôle du dogme catholique dans le dialogue œcuménique.

Approche plutôt négative du dogme.

Nous commençons par présenter la vision « négative » du dogme. Nous n’entendons pas par là une approche qui verrait le dogme en tant que tel comme négatif, mais une insistance sur la négation d’une erreur. Le dogme est ainsi surtout comme la réaction à un phénomène négatif.

Cette approche plutôt négative du dogme peut provenir avant tout de deux causes : 1. l’expérience du passé, 2. le lien entre dogme et hérésie.

1. La première cause est la crainte suscitée par les erreurs du passé : « on sait le risque qu’il y a à étendre le domaine de l’irréformable, au moment où nombre d’études historiques montrent la complexité de certains dossiers et où, pour certains cas, il convient de parler, sinon d’erreurs, du moins de prises de position regrettables. Les juges de Galilée estimaient bien que la fixité de la terre au centre du monde était un point connexe à la révélation. Heureusement qu’ils n’ont pas proclamé leur sentence irréformable! »[38]. Personne ne contestera l’utilité de la prudence, jointe à la confiance dans l’assistance de l’Esprit à son Eglise. Mais tel n’est pas directement notre objet, car la question demeure entière : une fois toutes les précautions prises, après une longue maturation, est-il en soi possible de proclamer un dogme à l’âge de l’œcuménisme ?

Une variante de la crainte suscitée par les expériences du passé est exprimée par les communautés chrétiennes « non-dogmatiques » : « Les Eglises dites ‘sans confession de foi’ ont été tout particulièrement sensibles aux dangers des affirmations de la foi. Ces affirmations peuvent rapidement conduire au formalisme, au détriment de la nature de la foi comme confession et engagement personnels. On peut aussi en faire mauvais usage si on oblige les gens à les accepter en violant leur conscience »[39]. Nul doute que tous ces dangers sont bien réels, mais ils sont la face négative que l’on trouve en toute réalité positive et qui n’en justifie pas le rejet, faute de quoi les acquis de la civilisation devront tous être rejetés : le feu, l’usage des outils, les lois etc. ont été utilisés pour tuer. L’amour a souvent mené à la haine… En rejetant un bien qui peut être mal utilisé, on perd aussi l’apport de ce bien.

2. Une deuxième cause de l’approche négative du dogme est le lien historique des déclarations de foi avec des hérésies. Le P. Bouyer, se fondant sur les circonstances dans lesquelles les « dogmes » antiques ont été proclamés, voit le dogme plutôt sous l’angle de son contexte regrettable : « Pas d'idée plus étrangère aux anciens que cette idée moderne, que la multiplication des définitions, par elle-même, constituerait un progrès positif. Cette prolifération correspond bien davantage, dans leurs perspectives, aux cicatrices inévitables que laissent, sur le corps de la vérité, les erreurs dont elle a triomphé »[40].

L’argument du P. Bouyer ne doit pas être sous-estimé, mais il n’embrasse pas l’ensemble de la question, même par rapport à la période patristique. Les Pères voyaient aussi que du mal des hérésies Dieu pouvait tirer un bien pour les fidèles. S. Augustin disait ainsi : « Puisque rien n'est plus vrai que le principe : ‘Il faut des hérésies nombreuses afin de manifester parmi vous les chrétiens éprouvés’ [I Co 11,19], sachons tirer également parti de ce bienfait de la providence divine. Ceux qui deviennent hérétiques, en effet, n'en erreraient pas moins s'ils restaient dans l'Eglise. Etant sortis, ils rendent de très grands services, non point en enseignant le vrai qu'ils ignorent, mais en stimulant les catholiques charnels à rechercher le vrai et les spirituels à le pénétrer »[41] ; « si l'orgueil n'existait pas, il n'y aurait pas d'hérétiques, ni de schismatiques, ni de circoncis, ni d'adorateurs de créatures et d'idoles. Mais, s'il n'y en avait pas, alors que le peuple élu n'a pas encore atteint la plénitude de développement qui lui est promise, on serait beaucoup trop paresseux dans la recherche de la vérité »[42].

Approche positive du dogme.

Le dogme n’a pas qu’un aspect de réaction à la négativité, pour réel qu’il soit. Nous avons vu que la Constitution Dei Verbum voit aussi le dogme sous son aspect de progrès dans la connaissance de la révélation.

Le jeune abbé Journet, annonçant la suite de son œuvre, voit le dogme avant tout comme un progrès dans l’approfondissement de la révélation, qui doit être reçu de Dieu avec reconnaissance : « Voilà bien un Dieu d’amour. Il nous appelle à la participation de ses richesses, de sa vie, de sa félicité, de sa lumière. Il nous le dit à l’avance, pour que notre temps ici-bas ne soit pas gâché, ‘pour que nous ne soyons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine par la tromperie des hommes et leur astuce à induire en erreur’ (Ephes., IV, 14), pour que notre exil soit consolé et nos cœurs purifiés par l’espérance, ‘car quiconque a cette espérance en Dieu, se rend pur comme Dieu même est pur’ (I Jean, III, 3). Il nous communique donc dès maintenant les certitudes définitives, celles qui dans le grand soleil du dernier jour ne seront point la nuée qui se dissipe, mais la fleur qui s’épanouit »[43].

Les dogmes ne soumettent pas la foi ou la mystique à un carcan rationaliste. Au contraire, ils défendent la foi contre des erreurs qui sont toujours l’impact de fausses prétentions de la raison, et indiquent à la contemplation l’espace où elle pourra s’épanouir : « Les dogmes, le dogme trinitaire, le dogme de la création purement libre et gratuite de l'univers, les dogmes de l'incarnation, du sacrifice rédempteur, de la transsubstantiation, les dogmes sacramentels, le dogme marial, sont les grandes protestations que l'Eglise fait entendre au cours des âges contre la rationalisation des prodigieuses révélations de l'Ecriture sainte. Loin d'atténuer le mystère, ils en cernent les contours pour permettre à l'esprit d'entrer plus avant dans sa nuit et de se perdre dans sa profondeur »[44]. Si la formulation du dogme peut être technique, ce n’est pas pour soumettre la foi à la technique, mais pour défendre la révélation de manière précise. Et cette précision profite à la contemplation elle-même, qui évite de se perdre dans des voies moins directes.

Interprétation des dogmes.

Après avoir présenté le contexte et les présupposés du débat sur les dogmes, nous présentons quelques propositions d’interprétation œcuménique des dogmes. Nous commençons par exposer deux pôles de la question : le maintien des dogmes dans le dialogue œcuménique d’une part, des propositions de ne pas imposer les dogmes récents aux non-catholiques d’autre part.

Maintien des dogmes dans le dialogue.

Participant à une rencontre entre théologiens catholiques et protestants à Harvard durant le Concile Vatican II, le cardinal Bea, premier président du Secrétariat Pontifical pour l’Unité des Chrétiens, expliquait ainsi le lien entre dogme et dialogue œcuménique : « Avant tout, l’enseignement fondamental de l’Eglise catholique ne sera pas changé. Un compromis sur des points de foi qui ont déjà été définis est impossible. Il serait franchement injuste vis-à-vis de nos frères non-catholiques de soulever de faux espoirs de cette nature. Et il n’y pas de possibilité que l’Eglise – même dans son zèle pour une éventuelle union – puisse jamais se satisfaire d’une reconnaissance des seuls ‘dogmes essentiels’, ou qu’elle renverse ou retire les décrets dogmatiques rédigés au Concile de Trente. Il serait aussi simplement malhonnête de suggérer qu’il y ait quelque vraisemblance à ce que les dogmes de la primauté et de l’infaillibilité du pape soient révisés. L’Eglise a proclamé toutes ces doctrines comme étant de foi, c’est-à-dire comme des vérités révélées par Dieu lui-même et nécessaires au salut. Précisément à cause de ces déclarations solennelles faites sous la conduite de l’Esprit Saint, l’action de l’Eglise dans ce domaine est sévérement limitée. Elle doit garder ces vérités, les expliquer, les prêcher, mais elle ne peut les compromettre. Car l’Eglise fondée par le Christ ne peut falsifier la Parole de Dieu, que Dieu a prêchée et confiée à son soin. Elle doit humblement se soumettre à celui à qui elle est inaltérablement unie »[45]. Le cardinal Bea explique ensuite que l’Eglise peut certes expliquer de manière renouvelée des doctrines souvent mal comprises[46], et qu’en outre bien des points n’ont jamais été définis[47].

Un peu plus tard, le pape Paul VI mentionne certains arguments œcuméniques opposés au dogme, et les rejette : « Au prix d'un travail poursuivi au long des siècles, et non sans l'assistance de l'Esprit-Saint, l'Eglise a fixé une règle de langage et l'a confirmée avec l'autorité des Conciles. Cette règle est souvent devenue le mot de ralliement et l'étendard de la foi orthodoxe. Elle doit être religieusement respectée. Que personne ne s'arroge le droit de la changer à son gré ou sous prétexte de nouveauté scientifique. Qui pourrait jamais tolérer l'opinion selon laquelle les formules dogmatiques appliquées par les Conciles oecuméniques aux mystères de la Sainte Trinité et de l'Incarnation ne seraient plus adaptées aux esprits de notre temps, et devraient témérairement être remplacées par d'autres ? De même on ne saurait tolérer qu'un particulier touche de sa propre autorité aux formules dont le Concile de Trente s'est servi pour proposer à la foi le mystère eucharistique. C'est que ces formules, comme les autres que l'Eglise adopte pour l'énoncé des dogmes de foi, expriment des concepts qui ne sont pas liés à une certaine forme de culture, ni à une phase déterminée du progrès scientifique, ni à telle ou telle école théologique. Elles expriment ce que l'esprit humain perçoit de la réalité par l'expérience universelle et nécessaire et ce qu'il manifeste par des mots adaptés et certains provenant du langage courant ou savant. C'est pourquoi ces formules sont adaptées aux hommes de tous les temps et de tous les lieux. On peut assurément, comme cela se fait avec d'heureux résultats, donner de ces formules une explication plus claire et plus ouverte, mais ce sera toujours dans le même sens selon lequel elles ont été adoptées. Ainsi la vérité immuable de la foi restera intacte, tandis que progressera l'intelligence de la foi. Car comme l'enseigne le Ier Concile du Vatican, dans les dogmes sacrés ‘on doit toujours garder le sens que notre Mère la sainte Eglise a déclaré une fois pour toutes. Jamais il n'est permis de s'en écarter sous le prétexte spécieux d'intelligence plus profonde’ »[48]. Il applique cette conviction de la pérennité des dogmes à l’œcuménisme : « Mais prétendre supprimer la difficulté doctrinale en cherchant à diminuer l’autorité des affirmations que le magistère de l’Eglise déclare obligatoires et définitives, ou en cherchant à négliger ou à cacher ces mêmes affirmations, ce n’est pas rendre un bon service. Ce n’est pas un bon service pour la cause de l’union, car cela crée chez les frères séparés la méfiance, la crainte d’être mystifiés, le soupçon qu’on puisse les tromper et puis, dans l’Eglise, cela fait craindre que l’on cherche l’union au prix de vérités indiscutables, que le dialogue finisse par nuire à la sincérité, à la fidélité et à la vérité »[49].

Propositions d’interprétation œcuménique des dogmes.

Semblant prendre le contre-pied des principes que nous venons d’exposer, des théologiens à l’autorité reconnue estiment que l’acceptation des dogmes proclamés par l’Eglise catholique après les séparations historiques ne doit pas être présentée aux autres chrétiens comme une exigence préalable à l’unité. C’est l’opinion que le P. Congar développe à partir du Filioque : « Ma conviction est qu'il faut reconnaître la coexistence de deux traditions dont chacune est complète et cohérente mais qui ne sont pas superposables. Il faudra reconnaître cela, l'accepter. Oui, s'accepter différents pour se reconnaître radicalement unanimes. Cela pose une grave question, car le ‘Filioque’ est pour nous un dogme, pas un simple theologoumenon. Mais le problème se posera aussi pour d'autres articles. Avant moi, des théologiens de la classe de Louis Bouyer (Istina 14, 1969, 112-115) ou Avery Dulles (Theological Studies 29, 1968, 393-416) ont répondu qu'une restauration de la pleine communion serait possible sans qu'une des deux Eglises impose à l'autre de tenir tout ce qu'elle a pu déterminer, et même dogmatiser, dans la situation d'une rupture de la communion qui, du reste, n'a jamais été totale »[50].

Le P. Bouyer pose de fait le même principe : « il devrait être reconnu de part et d'autre que seuls les sept grands Conciles de l'Eglise indivise ont pu formuler des définitions de la foi sur lesquelles on ne saurait revenir d'aucune manière. En même temps, l'une et l'autre Eglises devraient reconnaître que, sans jouir de la même autorité, des conciles locaux qui ont obtenu l'adhésion formelle de toute la partie, soit orientale, soit occidentale, de l'Eglise où ils ont été tenus doivent être reçus avec respect et interprétés sympathiquement par l'autre partie »[51]. Il le commente en l’appliquant aux trois derniers dogmes proclamés : « Une telle déclaration réciproque, de la part des autorités des deux Eglises, devrait s'accompagner de la reconnaissance du fait que les décisions passées doivent, dans chaque cas, être complétées et interprétées en fonction d'un nouvel examen des questions, à être opéré de concert, dans un esprit de mutuelle charité et de fidélité commune à toute la tradition des saints Pères. A cette étape ou ensuite, il devrait être déclaré par le Siège apostolique de l'ancienne Rome que le dogme de la primauté de ce Siège et de l'infaillibilité des décisions doctrinales prises par le pape comme docteur de l'Eglise universelle doit s'entendre, d'abord avec les compléments que Vatican II y a déjà apportés concernant le rôle magistériel de tout l'épiscopat et la participation de tout le peuple de Dieu au témoignage rendu perpétuellement à la vérité dans la charité, et secondement à la lumière de toute la tradition de l'Eglise indivise. Quant à ce qui concerne les définitions papales de 1854 et de 1950, touchant la Conception Immaculée de la bienheureuse Vierge Marie et son Assomption, il semble également que le même Siège apostolique devrait alors et pourrait sans difficulté déclarer que ces définitions elles-mêmes sont à entendre au sens simplement où l'Eglise orthodoxe elle-même n'a pas cessé de croire en la pureté parfaite de la Mère de Dieu et en son association étroite, dès sa Dormition, à la victoire de son Fils sur la mort elle-même »[52].

Avery Dulles (qui comme le P. Congar deviendra par la suite cardinal) commence par rappeler que l’objet du dogme est supérieur à celui du langage ordinaire, que sa proclamation a lieu dans un contexte culturel bien précis, et que dans le passé une même expression a pu avoir plusieurs sens[53]. Il ajoute qu’au moins jusqu'à Constantin, on concevait bien des credos des Eglises locales[54]. Il en conclut que « il devrait être clair qu’un pluralisme dogmatique simultané est quelquefois admissible sans préjudice pour l’unité de l’Eglise. Si une même foi peut être formulée différemment pour des époques historiques différentes, une variété semblable pour être tolérée pour différentes cultures dans une période chronologiquement identique »[55]. En résumé : « C’est donc une simplification excessive de dire que les dogmes sont irréformables. En principe, chaque déclaration dogmatique est sujette à reformulation. Parfois il peut être suffisant de rhabiller les vieux concepts avec de nouveaux mots qui, sur le plan pratique, ont les mêmes significations. Mais dans d’autres cas les formules consacrées refléteront une compréhension inadéquate (…) Quand les hommes acquièrent un nouveau conditionnement culturel et de nouveaux horizons, ils doivent reconceptualiser leurs dogmes à partir de leur point de vue actuel. Il y a des signes qu’un tel processus est en cours par rapport à de nombreux dogmes catholiques, comme le péché originel, la transsubstantiation et peut-être la conception virginale de Marie »[56]. Il conclut que la solution n’est ni dans l’abrogation des dogmes, ni dans une acceptation œcuménique mutuelle des énoncés de foi tels qu’ils ont été formulés dans le passé, mais dans la recherche commune d’une formulation renouvelée[57].

Répondant en 1985 aux questions du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens à propos du dialogue entre anglicans et catholiques, la Conférence des évêques de France pose les principes suivants : « Nous pensons qu’une recherche théologique devra clarifier le lien et la distance que les nouveaux textes de convergences et d’accord œcuméniques doivent entretenir avec les documents confessionnels respectifs. Deux choses d’emblée semblent exclues: aucune confession ne peut exiger de l’autre un ralliement littéral aux documents officiels élaborés pendant le temps de la séparation, ce qui reviendrait à retirer a priori toute portée au dialogue oecuménique engagé; d’autre part, aucune d’entre elles ne peut parler ni s’engager aujourd’hui en toute responsabilité sans vérifier la cohérence entre ce qu’elle dit aujourd’hui et ce qu’elle estime imprescriptible dans ses prises de position du passé. La fécondité propre du dialogue oecuménique est de conduire à exprimer dans un langage nouveau et vraiment réconcilié tous les aspects de la vérité de foi contenue dans les traditions respectives et qui ont été souvent exprimés selon des vues unilatérales, polémiques, éventuellement négatrices »[58]. Cette position ne nie pas en soi l’importance des dogmes passés : elle nie que l’on doive considérer comme indispensable la ratification des dogmes dans leurs termes précis, et envisage qu’une nouvelle formulation puisse permettre de les recevoir en commun. Le texte épiscopal y voit une condition du dialogue œcuménique comme tel.

Les différents textes que nous venons de résumer envisagent deux points : 1. certains dogmes ont été proclamés dans une situation de division ; 2. le sens du dogme peut être maintenu quant à l’essentiel, avec une nouvelle formulation. Nous allons nous pencher successivement sur ces deux points.

Les dogmes proclamés dans une situation de division.

Le P. Congar et le P. Bouyer envisagent tous deux la situation particulière des dogmes proclamés par une Eglise « dans la situation d'une rupture de la communion » (Congar), et « qui ont obtenu l'adhésion formelle de toute la partie, soit orientale, soit occidentale, de l'Eglise » (Bouyer).

Ces questions montrent l’urgence d’une analyse de ce que signifie le tout et la partie de l’Eglise dans un tel contexte[59].

Le pape Paul VI a tenu compte de la différence de statut entre les Conciles œcuméniques de l’Eglise indivise (ce par quoi on entend en général en songeant à la relation entre Rome et Constantinople, car en fait l’Eglise a cessé d’être indivise au moins depuis le Concile d’Ephèse en 431) et les Conciles tenus par l’Eglise d’Occident après le schisme de 1054. Dans sa lettre du 5 octobre 1974 au cardinal Willebrands, président du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, il parle du IIe Concile de Lyon, habituellement qualifié de 14e Concile œcuménique[60], dans les termes suivants : « Ce Concile de Lyon, qui est compté comme le 6e des Synodes Généraux célébrés dans le monde occidental »[61]. Si cette concession de langage est très significative et importante, elle ne signifie pas que l’Eglise catholique ait renoncé officiellement à considérer ses derniers conciles comme œcuméniques, dans la mesure où ils rassemblaient l’épiscopat qui est en communion avec le successeur de Pierre.

Dans la perspective d’une unité renouvelée avec les Eglises orthodoxes, mais aussi avec d’autres Eglises, la question des dogmes proclamés par les uns et les autres (cela vaut aussi en un certain sens des canonisations de saints dans l’Eglise orthodoxe, dont certains sont des héros de la lutte contre le catholicisme occidental) mérite une attention particulière. Dans les cas de ce genre, il pourra être utile de trouver une formulation qui tienne compte davantage des traditions théologiques des uns et des autres, afin d’exprimer le même contenu de manière compréhensible par tous. Mais nous ne pensons pas que cette formulation puisse se faire au détriment du contenu des dogmes, même exprimé dans des termes qui paraissent ambigus à l’autre partie. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Continuité du contenu et renouvellement des expressions ?

Les lignes directrices du rapport entre renouvellement des formules et maintien du contenu doctrinal sont exposées dans le Décret sur l’œcuménisme du Concile Vatican II : « Il faut absolument exposer clairement la doctrine intégrale. Rien n'est plus étranger à l'œcuménisme que ce faux irénisme qui cause du dommage à la pureté de la doctrine catholique et obscurcit son sens authentique et incontestable. En même temps, il faut expliquer la foi catholique de façon plus profonde et plus droite, utilisant une manière de parler et un langage qui soient facilement accessibles même aux frères séparés »[62].

D’une manière générale, et non seulement par rapport à l’expression des dogmes, le programme du Concile Vatican II a consisté dans une transmission renouvelée du patrimoine constitué par la révélation et son interprétation traditionnelle. C’est ce qu’exprime le pape Jean XXIII à l’ouverture du Concile : « Le XXIe Concile œcuménique (…) veut transmettre dans son intégralité, sans l’affaiblir ni l’altérer, la doctrine catholique (…). Certes ce patrimoine ne plaît pas à tous, mais il est offert à tous les hommes de bonne volonté comme un riche trésor qui est à leur disposition. Cependant, ce précieux trésor nous ne devons pas seulement le garder comme si nous n’étions préoccupés que du passé, mais nous devons nous mettre joyeusement, sans crainte, au travail qu’exige notre époque, en poursuivant la route sur laquelle l’Eglise marche depuis près de vingt siècles (…) Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c'est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée »[63].

L’interprétation des dogmes se situe entre deux pôles : 1. les limites des formulations en termes humains, 2. la vérité permanente du dogme.

1. Un même dogme peut être formulé de différentes manières, en vue d’un approfondissement de la même foi, puisque l’intelligence plénière n’est donnée que dans la vision béatifique. Ce processus continuera toujours, car l’Ecriture et la Tradition « contiennent des trésors de vérité si nombreux et si grands qu’ils ne sont jamais réellement épuisés »[64]. Dire ceci n’est rien d’autre que reconnaître la Tradition comme telle, c’est-à-dire la transmission de la révélation à travers tous les temps et dans toutes les cultures, de manière à la fois fidèle et compréhensible (faute de quoi il n’y a pas de transmission). C’est pourquoi la foi chrétienne a dû être exprimée dès le début dans les termes de la culture grecque, qui posait des questions auxquelles le Nouveau Testament ne répondait pas dans les mêmes termes, et même pour répondre à de mauvais usages des termes bibliques : « au concile de Nicée, en 325, où les eusébiens se retranchent derrière les expressions bibliques désignant le Fils comme image du Dieu invisible (Col., i, 15), 'splendeur de sa gloire, empreinte de sa substance' (Hébr., i, 3), pour affirmer sa ressemblance au Père, mais nier sa divinité (Jean, i, 1; xx, 28 ; Rom., ix, 5 ; Tite, ii, 13) et son égalité avec le Père (Jean, x, 30), le mot non biblique de consubstantiel devient le seul qui puisse dénoncer leur exégèse sophistique et proclamer tant l'identité de nature du Père et du Fils que leur distinction personnelle »[65].

2. La valeur constante des dogmes n’empêche pas qu’ils soient aussi liés aux modes d’expression théologique du lieu et du temps de leur formulation : « Les vérités que l’Eglise entend réellement enseigner par ses formules dogmatiques sont sans doute distinctes des conceptions changeantes propres à une époque déterminée; mais il n’est pas exclu qu’elles soient éventuellement formulées, même par le Magistère, en des termes qui portent des traces de telles conceptions »[66]. Toutefois, la limitation des termes humains n’empêche pas que ceux-ci soient nécessaires, car l’acte de foi ne nous met pas en contact avec l’objet de la foi sans la médiation d’énoncés : « Il faudrait cesser de citer saint Thomas[67] à contre-sens, lui faisant dire que la foi ‘a conscience de viser non la formule, mais la vérité du Dieu vivant’. Que serait la vérité de foi, si elle n'était la conformité d'un énoncé au réel ? Impossible de se méprendre sur la pensée de saint Thomas : la manière même dont il pose la question de l'objet de la foi indique le sens de sa réponse. Elle est double : l'objet de la foi, c'est en dehors de nous la simplicité de la Vérité divine ; l'objet de la foi, c'est en nous la complexité d'un énoncé. (…) ‘Certains ont pensé que la foi ne concerne pas l'énoncé mais le réel, non est de enunciabile sed de re… C'est une erreur, car la foi suppose un assentiment, et donc un jugement portant sur le vrai ou le faux, non potest esse nisi de compositione, in qua verum et falsum invenitur’ [De Veritate, qu.14 a.12] »[68].

Les formules dogmatiques ont un sens qui ne peut être changé et peut toujours être compris par qui les interprète correctement[69]. Les définitions passées sont désormais acquises, et les rejeter reviendrait à mépriser l’action de la divine Providence dans les siècles passés : « quand l'Église entre en contact avec les grandes cultures qu'elle n'a pas rencontrées auparavant, elle ne peut pas laisser derrière elle ce qu'elle a acquis par son inculturation dans la pensée gréco-latine. Refuser un tel héritage serait aller contre le dessein providentiel de Dieu, qui conduit son Église au long des routes du temps et de l'histoire »[70]. Les modes d’expression ne doivent pas être compris comme un conditionnement radical : « Sans doute faut-il distinguer le contenu toujours valable des dogmes de la forme dans laquelle il est exprimé. Le mystère du Christ transcende les possibilités d'expression de toute époque historique et se dérobe donc à toute systématisation exclusive (…) Cependant, on ne peut pas séparer nettement contenu et forme d’expression. Le système symbolique du langage n’est pas seulement un revêtement extérieur, mais en quelque sorte l’incarnation d’une vérité »[71].

Le pape Paul VI résumait l’équilibre à tenir entre contenu permanent et renouvellement constant des formulations :  « on peut assurément, comme cela se fait avec d'heureux résultats, donner de ces formules une explication plus claire et plus ouverte, mais ce sera toujours dans le même sens selon lequel elles ont été adoptées. Ainsi la vérité immuable de la foi restera intacte, tandis que progressera l'intelligence de la foi »[72]. Ce sont les deux aspects de la Tradition : transmission d’une foi qui ne change pas, mais de manière sans cesse renouvelée, approfondie, expliquée de manière adaptée à la diversité des temps et des lieux.

Paul VI parle d’« d'heureux résultats » obtenus grâce à une formulation plus claire. De fait, certains accords ont été ainsi obtenus.

Accords œcuméniques obtenus par une compréhension renouvelée du sens des dogmes passés.

Plusieurs déclarations officielles de l’Eglise catholique avec des Eglises orientales séparées de Rome depuis le Ve siècle invoquent des divergences d’expression qui ne touchaient pas à la foi elle-même.

Un groupe de déclarations concerne les Eglises orientales traditionnellement qualifiées de monophysites, séparées de Rome (et de Constantinople) depuis le Concile de Chalcédoine, en 451. Le 25 octobre 1971, le Paul VI et le Patriarche Mar Ignace Jacob III (chef de l’Eglise syrienne orthodoxe), font la déclaration suivante : « le Pape Paul VI ainsi que le Patriarche Mar Ignace Jacob III sont d'accord pour déclarer qu'il n'existe pas de divergences dans la foi qu'ils professent concernant le mystère du Verbe de Dieu qui s'est fait chair et est devenu vraiment homme, même si des difficultés se sont élevées au cours des siècles en raisons des expressions théologiques différentes à travers lesquelles cette foi s'est traduite »[73]. Moins de deux ans plus tard, le même Paul VI fera une déclaration assez semblable avec le pape copte Shenouda III[74]. La troisième grande Eglise qui a refusé Chalcédoine est l’Eglise arménienne ; le 13 décembre 1996, le pape Jean-Paul II et Karekin Ier Sarkissian, Catholicos-Patriarche suprême de tous les Arméniens, font une déclaration commune dans la ligne des précédentes, insistant clairement sur les différences terminologiques : « les récents développements des relations oecuméniques et les discussions théologiques, effectuées dans un esprit d’amour chrétien et de fraternité, ont dissipé de nombreux malentendus hérités des controverses et des dissensions du passé. (...) Des facteurs linguistiques, culturels et politiques ont contribué en grande partie à susciter les divergences théologiques qui ont trouvé leur expression dans la terminologie employée pour formuler leurs doctrines. (...) les controverses et les divisions déplorables qui ont parfois découlé des manières divergentes d’exprimer cette foi, ne devraient plus continuer à influer négativement sur la vie et le témoignage de l’Eglise aujourd’hui »[75]. Quelques semaines plus tard, Jean-Paul II, rencontrant le catholicos arménien de Cilicie (résidant au Liban), liera les déclarations faites avec les Syriens-orthodoxes, les Coptes et les Arméniens[76].

L’autre grande division à base christologique – symétriquement opposée aux divisions mentionnées ci-dessus – est celle que l’on a qualifiée au cours des siècles de nestorienne, et qui remonte aux suites du Concile d’Ephèse (431). L’Eglise Assyrienne de l’Orient, qui n’a pris part à aucun Concile antique et se trouvait hors de l’Empire romain, est ainsi aujourd’hui encore séparée de Rome (et de Constantinople). Le 11 novembre 1994, le pape Jean-Paul II et le patriarche assyrien Mar Dinkha IV font une déclaration commune qui se réfère elle aussi à des malentendus. Après avoir affirmé la foi commune, ils commentent ainsi les divisions passées : « Telle est l’unique foi que nous professons dans le mystère du Christ. Les controverses du passé ont conduit à des anathèmes prononcés envers des personnes ou des formules. L’Esprit du Seigneur nous accorde de mieux comprendre aujourd’hui que les divisions qui se sont produites étaient dues dans une large mesure à des malentendus »[77].

Dans la chrétienté occidentale, l’événement le plus proche de ceux que nous avons présentés pour l’Orient est la déclaration commune sur la justification entre catholiques et luthériens, signée à Augsbourg le 31 octobre 1999[78]. Elle envisage elle aussi que des différences d’expression n’empêchent pas une vision commune des points centraux : « La compréhension de la doctrine de la justification présentée dans cette déclaration montre qu’il existe entre luthériens et catholiques un consensus dans des vérités fondamentales de la doctrine de la justification. A la lumière de ce consensus sont acceptables les différences qui subsistent dans le langage, les formes théologiques et les accentuations particulières »[79].

Ainsi, des divisions séculaires en matière dogmatique peuvent commencer à être surmontées sur la base d’un argument : les expressions différentes visaient en fait à une même affirmation de foi, mais les interlocuteurs ne se sont pas compris en raison de systèmes et de vocabulaires différents, ainsi que de facteurs politiques etc. La conscience de ce type de facteur n’est pas nouvelle. A propos de la relation entre le Fils et la procession de l’Esprit (thème sur lequel il a aussi été capable de paroles plus tranchantes), saint Thomas disait : « Si quelqu'un considère sérieusement les paroles des Grecs, il trouvera qu'elles diffèrent des nôtres plus dans les mots que dans le sens »[80]. A propos du vocabulaire trinitaire (le sens du terme « cause »), il relevait aussi : « on dit quelque chose de manière inconvenante en latin, qui à cause de la propriété de la langue peut être dit convenablement en grec »[81].

Bilan des questions concernant l’interprétation des dogmes.

Dans l’interprétation des dogmes, il faut tenir un équilibre. D’une part, de simples questions de vocabulaire peuvent mener à des divisions purement apparentes, cela ne fait pas de doute. De tels malentendus devraient pouvoir être surmontés. Il reste que des théologiens intelligents et cultivés ont cru pendant des siècles à de vraies divisions, et qu’il convient de bien étudier un cas avant de parler de malentendu. En outre, chaque expression est solidaire d’un ensemble conceptuel plus vaste, et résoudre un malentendu ne résout pas nécessairement les problèmes connexes.

L’équilibre à tenir est bien exprimé par le P. Emery : « nous sommes en présence d’une différence de rationalité théologique, que l’on peut difficilement réduire à l’unité d’une formule commune sans porter préjudice à la cohérence interne de chaque tradition doctrinale. La foi ne peut pas être séparée de la confession qui l’exprime ; il reste cependant que la recherche du ‘sens’ sous les ‘mots’ fournit, suivant l’analyse de S. Thomas, le chemin d’une compréhension mutuelle »[82].

Les principes d’interprétation sont un aspect de l’appréciation portée sur le dogme dans le dialogue œcuménique. Un autre aspect relève de présupposés plus profonds et peut-être moins conscients : voit-on le dogme d’abord comme positif ou comme négatif ?

L’œcuménisme montre la nécessité du dogme.

Nous en revenons à notre question de départ : dogme et œcuménisme. Nous voudrions suggérer maintenant que, loin de s’opposer au dogme, le dialogue œcuménique comme tel l’appelle, car l’unité des chrétiens exige une confession de foi.

L’œcuménisme comme tel pose la question du dogme.

Si le but de l’unité des chrétiens est l’unité dans la foi, il faudra pouvoir déterminer un certain nombre de formules exprimant la foi en commun. Comme le disait Foi et Constitution en 1977 : « Pour atteindre l’unité ou la communion conciliaire au plein sens de ces termes, il est nécessaire que les Eglises soient capables de se reconnaître mutuellement comme confessant la même foi apostolique. Le Conseil Œcuménique des Eglises, spécialement le mouvement de Foi et Constitution, a pour but de conduire à cette reconnaissance mutuelle »[83]. Cela impliquera à la fois de tomber d’accord sur certaines confessions de foi, et de rejeter des formules déformant ou trahissant la foi. Que ces formules reçoivent le nom de « dogmes », ou un autre nom retenu comme moins négativement connoté pour certains chrétiens, le fait reste que l’on ne peut renoncer à des formules de foi dans renoncer du même coup à l’œcuménisme comme tel.

A l’extrême, renoncer à tout texte exprimant la foi reviendrait à rejeter l’Ecriture elle-même, car ses interprétations divergent tout au long de l’histoire. Il faudrait rejeter le Christ, car il a divisé ses auditeurs.

Si l’on accepte de se référer à des formules, lesquelles va-t-on choisir ?

Se référer seulement à des formules passées suscite aussitôt la question de la limite : à quel moment du passé s’arrête-t-on ? De ce point de vue, s’arrêter aux deux, ou quatre, ou sept premiers conciles œcuméniques, ou au seizième ou au vingtième siècle… et refuser de nouvelles déclarations est plus arbitraire et moins cohérent que de se limiter à l’Ecriture seule. Mais, précisément, l’Ecriture laissée à elle seule n’évite pas les divisions. Au contraire, le canon scripturaire a favorisé des divisions : « Il est inévitable que les normes théologiques, là où elles ont été mises en place et imposées, aient entraîné et favorisé le morcellement. A cet égard, il faut dire que le canon a également contribué, au cours de l'histoire, au morcellement ecclésial. D'autre part, on ne peut pas trop attendre d'un canon. A aucune époque le canon de la Bible ne fut qualifié à lui seul pour fonder, mettre en oeuvre ou légitimer une organisation ecclésiale universelle »[84]. L’idée de Calvin selon laquelle on devait accepter les Conciles anciens parce qu’ils « ne contiennent rien qu'une pure et naturelle interprétation de l'Ecriture »[85] a été depuis longtemps mise en doute par les réformés eux-mêmes quant à son présupposé d’accès facile à la clarté de l’Ecriture : « que peut bien signifier l'affirmation répétée que le protestantisme se distingue de la théologie traditionnelle par sa référence absolue et normative à l'Ecriture -sola Scriptura !- du moment que cette référence s'avère être un facteur d'affrontement et de division entre les Réformateurs eux-mêmes, plutôt qu'un facteur de clarification et d'unité dans la Vérité considérée comme une et indivisible ? »[86].

Si l’Ecriture ne suffit pas à empêcher la division, les conciles aussi ont toujours été prétexte à division, l’un étant invoqué contre l’autre : « La non-réception [de Chalcédoine] se traduit par un schisme, ce qui restera une loi assez fréquente dans l'histoire des conciles : ceux qui n'acceptent pas le dernier concile font schisme au nom des précédents »[87].

La question du principe de discernement d’une tradition fidèle a été posée clairement par la Conférence Mondiale de Foi et Constitution[88] en 1963, dans le rapport final de sa Deuxième Section, traitant de Tradition, tradition et traditions[89]. Le document réhabilite la référence à la Tradition dans le dialogue œcuménique, surmontant en cela la réticence « traditionnelle » de la théologie protestante. Une telle réhabilitation lui semble nécessaire en raison même du dialogue œcuménique, qui vise à une transmission commune de la révélation, c’est-à-dire à une Tradition chrétienne commune. Cela amène à une question évidente, face à la diversité des traditions chrétiennes : « Est-il possible de déterminer plus exactement le contenu de la Tradition unique, et par quels moyens ? Toutes les traditions qui prétendent être chrétiennes contiennent-elles la Tradition ? Comment pouvons nous distinguer entre traditions incorporant la vraie Tradition et traditions purement humaines ? Où trouver la Tradition authentique, et où n'avons-nous qu'une tradition appauvrie ou même défigurée ? La tradition peut être une transmission fidèle de l'Evangile, mais elle peut aussi le défigurer »[90]. En conséquence : « ces questions impliquent la recherche d'un critère »[91]. Le document passe en revue les critères possibles : d’abord la fidélité à la Tradition reçue des Apôtres[92] et aux écrits fixant de cette Tradition[93] (ce qui vise en particulier l’Ecriture). Toutefois, « la crise gnostique du second siècle montre que la simple existence d'écrits apostoliques ne résout pas le problème. La question d'interprétation a surgi aussitôt qu'on a recouru aux documents écrits »[94]. L’Ecriture ne suffit pas : « Une simple répétition des paroles des Ecritures Saintes serait une trahison de l'Evangile; qui doit être rendu compréhensible, pour être un ferment dans le monde »[95]. La question resurgit donc : « La nécessité de l'interprétation soulève à nouveau la question du critère de la véritable Tradition. A travers toute l'histoire de l'Eglise, ce critère a été cherché dans les Ecritures Saintes, interprétées correctement. Mais qu'est-ce que l'‘interprétation correcte’ ? »[96] Une nouvelle étape est franchie : « nous pouvons dire que l'interprétation correcte (en prenant ce mot dans son sens le plus large), est l'interprétation qui est conduite par le Saint-Esprit ». Mais qui ne prétendra vouloir suivre le Saint-Esprit ? Comme le reconnaît le texte, « cela ne résout pas le problème du critère »[97]. Montréal présente donc une liste de propositions historiques pour résoudre cette question : Ecriture lue dans son ensemble ou à la lumière de textes centraux ou de doctrines principales, conscience individuelle, Pères de l'Eglise, Conciles œcuméniques, magistère[98], étude moderne de la Bible et de l’histoire de l’Eglise[99] etc. En conclusion, chaque critère évoqué, pour utile qu’il soit, renvoie à un autre car aucun n’est accepté en commun.

Montréal pose donc une question et donne des éléments de réponse, qui sont utiles mais pas suffisants. Rien d’étonnant à ce que la même Commission de Foi et Constitution (dans un document certes moins important que sa conférence mondiale de 1963) dresse le constat suivant en 1998. Certes, « la conférence de Montréal a contribué à surmonter l'opposition ancienne entre les principes de la ‘sola Scriptura’ et de ‘l'Ecriture et la tradition’ »[100]. Toutefois, « la conférence de Montréal n'a pas complètement expliqué ce que signifie le fait que la Tradition unique s'incarne dans des traditions et des cultures concrètes. (…) En définitive, la conférence de Montréal n'est pas parvenue à aller au-delà de la Déclaration de Toronto (1950)[101], qui, de propos délibéré, ne donnait pas d'autre critère que la ‘Base’ du COE pour évaluer l'authenticité ou la fidélité des traditions de ses Eglises membres, sans parler des autres traditions humaines »[102]. Ce nouveau texte trouve-t-il donc la solution qui manquait ? En fait, il décrit la même question, en insistant davantage sur les conditions de l’interprétation des traditions, mais finalement il semble simplement hésiter quant à la possibilité même d’une réponse : « au cœur de toutes les traditions ecclésiales, c'est la Tradition une qui est révélée par la présence vivante du Christ dans le monde, mais elle ne peut ni être saisie, ni être maîtrisée par un discours humain. Elle est une réalité vivante, eschatologique, qui déjoue toutes les tentatives pour parvenir à une définition linguistique ou une révélation conceptuelle définitive »[103]. Toutefois le document envisage comme voie future un Concile commun, préparé par des consultations lors des prises de décision actuelles[104].

Lorsque Foi et Constitution publie son document Confesser la foi commune (en 1991), la nécessité d’une référence commune à la foi est là aussi affirmée[105], mais le « projet n’a pas pour objectif d’élaborer une nouvelle confession de foi œcuménique »[106], car le texte se limite à commenter les confessions de foi passées en signalant des différences non-surmontées.

En fait résoudre la question des critères de discernement entre les traditions chrétiennes reviendrait à résoudre tout le problème de l’œcuménisme, c’est-à-dire de la détermination de ce qu’est la foi confessée en commun de manière durable. L’œcuménisme lui-même pose directement la question de l’autorité d’enseignement de la foi, et donc finalement la question du dogme.

Le dogme comme élément de la réponse catholique à la question œcuménique.

Face à la nécessité pour les chrétiens de surmonter leurs divisions pour proclamer ensemble la foi, les dogmes de l’Eglise catholique peuvent être perçus comme un obstacle. Mais on peut aussi les voir comme une voie pour préserver effectivement l’unité, et pour la rétablir là où elle est imparfaite.

La conviction de l’Eglise catholique en matière œcuménique est d’abord de ne pas avoir perdu l’unité : « L'Eglise catholique affirme par là que, au cours des deux mille ans de son histoire, elle a été gardée dans l'unité avec tous les biens dont Dieu veut doter son Eglise, et cela malgré les crises souvent graves qui l'ont ébranlée, les manques de fidélité de certains de ses ministres et les fautes auxquelles se heurtent quotidiennement ses membres… Par la grâce de Dieu, ce qui appartient à la structure de l'Eglise du Christ n'a pourtant pas été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales »[107]. Cette conviction implique que l’unité déjà acquise au sein de l’Eglise catholique en matière dogmatique ne soit pas perdue, ce qui serait en contradiction avec le but même de l’œcuménisme : « il ne s'agit pas de modifier le dépôt de la foi, de changer la signification des dogmes, d'en éliminer des paroles essentielles, d'adapter la vérité aux goûts d'une époque ou d'abolir certains articles du Credo sous le faux prétexte qu'ils ne sont plus compris aujourd'hui. L'unité voulue par Dieu ne peut se réaliser que dans l'adhésion commune à la totalité du contenu révélé de la foi. En matière de foi, le compromis est en contradiction avec Dieu qui est Vérité »[108].

On peut analyser les différents aspects de cette conviction dans ce que Jean-Paul II dit du ministère du pape. On y constate en effet à la fois le don de l’unité préservée et la difficulté œcuménique : « la conviction qu'a l'Eglise catholique d'avoir conservé, fidèle à la tradition apostolique et à la foi des Pères, le signe visible et le garant de l'unité dans le ministère de l'Evêque de Rome, représente une difficulté pour la plupart des autres chrétiens »[109]. Le pape, en raison même de sa responsabilité d’unité, demande aux chrétiens non-catholiques de lui faire des suggestions pour l’exercice de son ministère. Les suggestions ne peuvent toutefois pas concerner l’essentiel, mais seulement le mode d’exercice de ce ministère : « j'écoute la requête qui m'est adressée de trouver une forme d'exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l'essentiel de sa mission »[110]. En effet, l’essentiel de sa mission est de garantir l’unité, ce qui implique d’avoir l’unité nécessaire : « Par le pouvoir et l'autorité sans lesquels cette fonction serait illusoire, l'Evêque de Rome doit assurer la communion de toutes les Eglises »[111].

Le ministère du pape lui-même est une contribution capitale de l’Eglise catholique à l’œcuménisme. Paul VI, qui était bien conscient du caractère « diviseur » de son ministère[112], en voyait avant tout l’aspect unificateur, en raison de la volonté du Christ : « Certains ne disent-ils pas que si la primauté du Pape était écartée, l’union des Eglises séparées avec l’Eglise catholique serait plus facile? Nous voulons supplier les frères séparés de considérer l’inconsistance d’une telle hypothèse; et non seulement parce que sans le Pape l’Eglise catholique ne serait plus telle, mais parce que l’office pastoral suprême, efficace et décisif de Pierre venant à manquer dans l’Eglise du Christ, l’unité se décomposerait; et on chercherait en vain ensuite à la recomposer sur des principes qui remplaceraient le seul principe authentique, établi par le Christ lui-même… »[113].

Le dialogue œcuménique entre catholiques et anglicans aborde précisément notre question : l’unité des chrétiens (et d’une manière générale la vie de l’Eglise) va demander des formulations infaillibles de la foi : « Dans certaines situations apparaîtra un besoin urgent de tester de nouvelles formulations de foi. Dans des circonstances précises, il pourra se faire que ceux qui sont investis du ministère de surveillance (épiscopè), en viennent ensemble, assistés par le Saint-Esprit, à un jugement qui, étant fidèle à l'Écriture et en harmonie avec la Tradition apostolique, est exempt d’erreur… Cet enseignement infaillible est au service de l’indéfectibilité de l'Église »[114]. Cela conduit le même texte à aborder ensuite la possibilité d’une déclaration infaillible de l’évêque de Rome : « Dans le cadre de son ministère le plus large, l’Evêque de Rome exerce un ministère spécifique touchant le discernement de la vérité, et qui ne fait que traduire sa primauté universelle. … Un tel enseignement faisant autorité est une forme particulière d’exercice de la vocation et de la responsabilité du corps des évêques d’enseigner et d’affirmer la foi. … Cette forme d’enseignement autoritaire n’a pas une garantie plus grande de l’Esprit que n’en ont les définitions solennelles des conciles œcuméniques. La réception de la primauté de l’Evêque de Rome implique la reconnaissance de ce ministère spécifique du primat universel. Nous croyons que c’est un don à recevoir par toutes les Églises »[115]. C’est peut-être la première fois qu’un texte cosigné par des délégués d’une confession non-catholique-romaine lie explicitement et positivement l’unité des chrétiens à l’utilité de l’infaillibilité pontificale, quelles que soient les différences qui demeurent quant à sa compréhension précise.

 

Conclusion.

Les dogmes catholiques sont-ils comme tels opposés à l’œcuménisme ? Ils en constituent sans doute un élément difficile, mais cela signifie-t-il que l’unité pourra être obtenue en les supprimant ou en les rendant facultatifs (ce qui reviendrait à les supprimer en tant que dogmes) ?

Pour comprendre cette question, nous avons commencé par expliquer le sens donné au terme de « dogme ». Nous avons illustré par quelques exemples significatifs – Calvin, Barth, Kant – certaines incompréhensions à propos de ce terme. Il est particulièrement important de voir que les dogmes ne nient pas le caractère définitif et suffisant de la révélation donnée en Jésus-Christ, mais entendent en exprimer le contenu implicite de manière toujours plus explicite, au long des siècles, et en réfuter certaines interprétations. Il est en effet inévitable que la révélation donne lieu à des interprétations divergentes, parfois incompatibles, et c’est le respect même de cette révélation définitive qui demande des explicitations.

Après les présupposés non-catholiques concernant le dogme, nous avons présenté deux présupposés de théologiens catholiques qui acceptent le dogme comme tel mais l’envisagent selon deux accents différents. Le premier accent consiste à voir le dogme avant tout comme la réaction à une hérésie, donc comme un phénomène en soi plutôt regrettable et qui devrait être aussi rare que possible. L’autre accent consiste à voir le dogme non pas d’abord comme une réaction à l’hérésie, mais comme un approfondissement de la révélation. Dans cette deuxième perspective, le dogme est reçu avec la reconnaissance que l’on éprouve face à la vérité, surtout quant il s’agit d’une vérité reçue de Dieu à propos de Dieu et de son œuvre salvifique. Nous estimons que cette deuxième approche doit être pleinement valorisée dans le dialogue œcuménique.

Comment l’Eglise catholique peut-elle se référer à ses dogmes en dialoguant avec les autres chrétiens ? Le dialogue demande-t-il une simple révision de la formulation des dogmes catholiques, ou la reconnaissance d’un caractère secondaire des dogmes proclamés depuis les séparations du passé (dans ce cas, depuis quelle séparation ?) ? Sans doute la même foi peut être exprimée par diverses formules, comme en témoignent les dogmes eux-mêmes qui ne répètent pas simplement l’Ecriture, ou la diversité des Symboles de foi. Le noyau central d’une affirmation de foi peut être ensuite exprimé et réalisé avec une certaine marge (que l’on songe simplement à la question de Jean-Paul II aux autres chrétiens quant à l’exercice de son ministère). Il reste que la foi implique un jugement sur la vérité d’une affirmation en termes humains, et que le fait de recourir à des formules ne peut être rejeté comme tel : nous ne sommes pas dans la Vision béatifique. Une nouvelle formulation implique une grande prudence, car son contenu ne saurait être en soi différent de celui des dogmes déjà proclamés sur le même point. En tout état de cause, une nouvelle formulation serait encore exprimée en termes humains, et il reste à voir qui pourrait la proclamer, et avec quel degré d’obligation pour les croyants ?

Cette dernière question est inséparable du dialogue œcuménique comme tel. Pour que la pleine unité puisse être réalisée, il faut un accord sur la foi. Pour que cette unité ne soit pas éphémère, il faut que cet accord puisse durer au-delà du mandat ou des opinions d’un groupe représentatif, quel qu’il soit. L’expérience de l’histoire de l’Eglise, et des dialogues œcuméniques du XX e siècle, montre que ni la référence à l’Ecriture seule, ni la prétention à lire l’Ecriture dans l’Esprit Saint, ni la référence à certains passages clefs de la Bible ou à certains textes traditionnels du passé …, quelle que soit la valeur évidente de ces références, ne suffisent à éliminer les divergences.

Pour que la foi puisse être proclamée à l’avenir en commun et de manière sûre, une relativisation des dogmes passés n’est pas la meilleure des préparations, car elle ne mènerait qu’à la relativisation des confessions de foi futures. Elle minerait à l’avance les progrès de l’œcuménisme.

Une contribution majeure de l’Eglise catholique au dialogue peut être d’y entrer avec une humble conscience des dons qu’elle a reçus. Avoir une autorité vivante qui puisse à chaque époque proclamer la foi de manière sûre, en continuité avec la confession séculaire de la foi apostolique, n’est-ce pas en soi un but que le dialogue œcuménique doit chercher à atteindre pour tous les chrétiens, et sans lequel l’unité comme telle est impossible ? Et n’est-ce pas une réalité déjà présente dans l’Eglise catholique, malgré les faiblesses de ses membres ? Si dans le dialogue chacun doit reconnaître le don reçu par chacun des partenaires, cela vaut aussi de ce don catholique qui est en fait recherché par l’œcuménisme lui-même.

Il revient au catholique d’abord de rendre humblement grâces à Dieu pour les certitudes reçues qui alimentent et guident sa contemplation, ensuite de proposer humblement aux autres chrétiens ses clefs au problème de la perpétuelle divergence des interprétations de la révélation divine.

Nous concluons en citant les paroles par lesquelles le pape Paul VI exprimait durant le Concile Vatican II un sentiment qui traverse toute sa vie : « Si vous comprenez ce grand problème du remembrement des chrétiens dans l’unité voulue par le Christ, si vous saisissez son importance et sa maturation historique, vous sentirez monter du fond de votre âme, précis et merveilleux, le témoignage de cette sécurité catholique qui vous dira intérieurement: je suis déjà dans l’unité voulue par le Christ, je suis déjà dans son bercail, parce que je suis catholique, parce que je suis avec Pierre. C’est un grand bonheur, une grande consolation; catholiques, sachez l’apprécier. Fidèles, ayez conscience de cette position privilégiée, due certainement non au mérite de quiconque, mais à la bonté de Dieu, qui vous a appelés à ce bonheur »[116].

fr. Charles Morerod op


 

[1] Arcic, « L'autorité dans l'Eglise », Rapport de la Commission internationale anglicane-catholique romaine (Windsor, 1981), Documentation Catholique 1830, 16 mai 1982, § 30, p.506. Il s’agit ici des dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption.

[2] Pour une histoire du terme de « dogme », cf. Hans Waldenfels, Manuel de théologie fondamentale, « Cogitatio Fidei », no.159, Cerf, Paris, 1990, p.739-741. Cf. aussi Yves CONGAR, OP, art. « Fait dogmatique et foi ecclésiale », in : Catholicisme, t.IV, 1956, col.1064.

[3] Cf. Charles Journet, Le dogme chemin de la foi, Arthème Fayard, Paris, 1963, p.75 : « Qu'ils soient révélés immédiatement comme les ‘articles de foi’, ou révélés médiatement comme les ‘dogmes’ dans lesquels s'explicitent ces articles ». Cf. aussi ibid., p.55, que nous citons ci-dessous.

[4] Pour un résumé de la question du développement du dogme et des théories à ce propos, cf. Karl Rahner – Karl Lehman, « L’historicité de la transmission », in : Mysterium salutis, t.3, L’Eglise et la transmission de la révélation, Cerf, Paris, 1969, p.313-382.

[5] Cf. Concile Vatican Ii, Constitution Dei Verbum, no.4 : « L'économie chrétienne, du fait qu'elle est l'alliance nouvelle et définitive, ne passera donc jamais; il n'y a plus à attendre de nouvelle révélation officielle avant l'apparition dans la gloire, de Notre-Seigneur Jésus-Christ ».

[6] Image prisée de l’abbé Journet, cf. « Définitions » (1er éditorial de Nova et Vetera, no.1, 1926), p.9 ; De la Bible catholique à la Bible protestante, André Blot, Paris, 1930, p.21-22, 65-66 ; Le message révélé, Sa transmission, son développement, ses dépendances, « Textes et études théologiques », Desclée de Brouwer, Paris, 1964, p.73.

[7] Charles Journet, Le dogme chemin de la foi, p.55. Dans le même sens, Cf. John Henry Newman, Apologia pro vita sua, Desclée de Brouwer, Paris, 1967, p.431 : « Dans l'avenir, rien ne peut m'être présenté comme faisant partie de la foi si ce n'est ce que j'admets déjà ; et si je ne l'avais pas admis jusqu'à présent, ce serait parce que je n'aurais pas encore fait mien cet aspect de ma foi ».

[8] Jean Calvin, L'institution de la religion chrétienne, t.IV, Labor et Fides, Genève, 1958, IV.VIII.9, p.148.

[9] L'institution de la religion chrétienne, IV.IX.8, p.163.

[10] L'institution de la religion chrétienne, IV.IX.8, p.163.

[11] L'institution de la religion chrétienne, IV.IX.8, p.163.

[12] L'institution de la religion chrétienne, IV.VIII.10, p.149.

[13] Karl Barth, Dogmatique, I/1*, La doctrine de la Parole de Dieu, Labor et Fides, Genève, 1953, p.254.

[14] Karl Barth, Dogmatique, I/1*, p.254.

[15] Des vérités formellement révélées par Dieu.

[16] Sans Dieu.

[17] Karl Barth, Dogmatique, I/1*, p.255.

[18] Karl Barth, Dogmatique, I/1*, p.260.

[19] Karl Barth, Dogmatique, I/1*, p.255.

[20] Nous plaçons le terme entre guillemets car nous référons à la terminologie confessionnelle actuelle, et non pas à celle qu’aurait utilisée Calvin.

[21] Par eux-mêmes ou des personnes de leur entourage, cf. Vatican II, Constitution Dei Verbum, no.7.

[22] Charles Journet, Le message révélé, p.98-99. Cf. aussi Everett FERGUSON, The Church of Christ, A Biblical Ecclesiology for Today, W. B. Eerdmans, Grand Rapids - Cambridge, 1996, p.306: « Apostles as plenipotentiaries of Jesus have no successors in the church. The church today has the same 'apostles of Christ' as the first-century church had, the Twelve and Paul. They are still the foundation of Christian faith and the basis for the life of the church. One could speak of successors to the apostles in their word as missionaries, but there can be no 'apostolic succession' to their function as foundation of the church ».

[23] Charles Journet, Le message révélé, p.100-101.

[24] Commission Théologique Internationale, « L'interprétation des dogmes », C.I.3, Documentation Catholique 2006, 20.5.1990, p.497.

[25] Pie XII, Constitution Munificentissimus Deus, 1.1.1950, Denz. 3903.

[26] Pie XII, Constitution Munificentissimus Deus, Denz. 3904.

[27] Pie XII,, Constitution Munificentissimus Deus, Denz. 3900.

[28] Juan Alfaro, SJ, « La théologie face au magistère », in : Problèmes et perspectives de théologie fondamentale, René Latourelle, SJ, et Gerald O'Collins, SJ éd., Desclée-Bellarmin, Paris-Tournai-Montréal, 1982, p.463.

[29] Cf. Vatican II, Décret Unitatis Redintegratio, no.11.

[30] Cf. Pie XII, Constitution Munificentissimus Deus, Denz. 3900 : « [l’Ecriture] nous fait voir en quelque sorte l’auguste Mère de Dieu très intimement unie à son divin Fils et partageant toujours son sort ».

[31] Nous avons déjà traité de cette question, cf. « Le sens et la portée de la hiérarchie des vérités à Vatican II et chez S. Thomas », Nova et Vetera, 71/1, 1996, p.15-47.

[32] Emmanuel Kant, Le conflit des Facultés, Première partie (conflit avec la Faculté de Théologie), in : E. Kant, Oeuvres philosophiques, t.III, Ed. de la Pléiade, Paris, 1986, p.855 (AK VII 50).

[33] Arthur Schopenhauer, Le fondement de la morale, § 2, Le Livre de Poche, Paris, 1991, p.36.

[34] Jean-Claude Basset, Le dialogue interreligieux, Histoire et avenir, « Cogitatio Fidei » 197, Cerf, Paris, 1996, p.273.

[35] Concile Vatican II, Constitution Dei Verbum, 7.

[36] John Henry Newman, Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, Desclée de Brouwer, Paris, 1964, p.110.

[37] Concile Vatican II, Constitution Dei Verbum, 8.

[38] Bernard Sesboüe, « A propos du ‘Motu proprio’ de Jean-Paul II Ad tuendam Fidem », Etudes, octobre 1998, p.366.

[39] Commission De Foi Et Constitution, Confesser la foi commune, Explication oecuménique de la foi apostolique telle qu'elle est confessée dans le Symbole de Nicée-Constantinople (381), no.13, Cerf, Paris, 1993, p.8.

[40] Louis Bouyer L'Eglise de Dieu, Cerf, Paris, 1970, p.434-435.

[41] S. Augustin, De vera religione, VIII.14 (traduction française, « Bibliothèque Augustinienne », t.8, p.45).

[42] S. Augustin, De vera religione, XXV.47 (« Bibliothèque Augustinienne », t.8, p.89-91). Cf. aussi ibid., VI.10 (« Bibliothèque Augustinienne », t.8, p.39) : « Cette Eglise catholique, puissamment et largement répandue par le monde entier, tire parti de toutes les erreurs pour se développer et ramener les dissidents eux-mêmes, dès qu'ils veulent bien ouvrir les yeux. Elle tire parti du paganisme, champ de son travail, de l'hérésie, épreuve de sa doctrine, du schisme, illustration de sa stabilité, du judaïsme, reflet de sa beauté. Dans le premier cas, elle appelle, dans le second elle exclut, dans le troisième, elle abandonne, dans le quatrième elle surpasse. Toujours cependant elle donne le moyen d'avoir part à la grâce de Dieu, qu'il s'agisse d'éduquer, de rééduquer, ou de ressaisir, ou d'accueillir ».

[43] Charles Journet, De la Bible catholique à la Bible protestante, p.17.

[44] Charles Journet, Le dogme chemin de foi, p.99.

[45] « First and foremost the fundamental teaching of the Catholic Church will not be changed. Compromise on points of faith which have already been defined is impossible. It would be quite unfair to our non-Catholic brethren to stir up false hopes of this nature. Nor is there a possibility that the Church – even in its zeal for eventual union – will ever be content with a recognition only of ‘essential dogmas,’ or that she will reverse or withdraw the dogmatic decrees drawn up at the Council of Trent. Again it would be simply dishonest to suggest that there is any likelihood that the dogmas of the primacy or the infallibility of the Pope will be revised. The Church has solemnly proclaimed all these doctrines to be of faith, that is to say, truths revealed by God himself and necessary for salvation. Precisely because of these solemn declarations made under the guidance of the Holy Spirit, the action of the Church in this field is severely limited. She must guard these truths, explain them, preach them, but she cannot compromise them. For the Church founded by Christ cannot tamper with the Word of God which he preached and entrusted to her care. She must humbly subject herself to him with whom she is inalterably united » (Augustine Cardinal Bea, « The Second Vatican Council and Non-Catholic Christians: Evaluation and Prognosis », in: Samuel H. Miller and G. Ernest Wright (eds.), Ecumenical Dialogue at Harvard, The Roman-Catholic-Protestant Colloquium, The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, Massachussetts, 1964, p.63-64).

[46] Cf. ibid., p.64 : « Are the hands of the Catholic Church, therefore, completely tied? Not at all. First, the traditional formulas which express points of doctrine of interest to non-Catholic Christians have often been misunderstood. The Council, therefore, can restate them in a manner more intelligible to the modern mind. As the Pope explicitly stated in his opening speech to the Council … ».

[47] Cf. ibid., p.65 : « But the points of doctrine which have been irrevocably fixed are far from exhausting the treasure-trove of divine revelation. Besides these there are many questions which have not yet been proclaimed as binding on all ».

[48] Paul VI, Encyclique Mysterium Fidei, 3.9.1965, no.24-25, Documentation Catholique 1436, 3.10.1965, col.1638.

[49] Paul VI, Audience générale du 20.1.65, in: Documents pontificaux de Paul VI, t.3, Editions Saint-Augustin, Saint-Maurice, 1969, p.43.

[50] Yves M.-J. Congar, Essais œcuméniques, Les hommes, le mouvement, les problèmes, Le Centurion, Paris, 1984, p.109.

[51] Louis Bouyer, « Réflexions sur le rétablissement possible de la communion entre les Eglises orthodoxe et catholique. Perspectives actuelles », Istina 20, 1975, p.113.

[52] Louis Bouyer, « Réflexions… », p.114.

[53] Cf. Avery Dulles, SJ, « Dogma as an Ecumenical Problem », Theological Studies 29, 1968, p.402-406.

[54] Cf. Avery Dulles, SJ, « Dogma as an Ecumenical Problem », p.408.

[55] « it should be clear that simultaneous dogmatic pluralism is sometimes admissible without prejudice to church unity. If one and the same faith can be differently formulated for different historical epochs, a similar variety may be tolerated for different cultures in a single chronological period » (Avery Dulles, SJ, « Dogma as an Ecumenical Problem », p.412).

[56] « It is an oversimplification, therefore, to say that dogmas are irreformable. In principle, every dogmatic statement is subject to reformulation. At times it may be sufficient to reclothe the old concepts in new words which, for all practical purposes, have the same meanings. But in other cases the consecrated formula will reflect an inadequate understanding (…) When men acquire new cultural conditioning and mental horizons, they have to reconceptualize their dogmas from their present point of view. There are signs that this process is now going on with respect to many Catholic dogmas, such as original sin, transubstantiation, and perhaps the virginal conception of Mary » (Avery Dulles, SJ, « Dogma as an Ecumenical Problem », p.407-408). Nous ne nous arrêtons pas aux exemples, que leur auteur choisirait peut-être différemment aujourd’hui.

[57] Cf. Avery Dulles, SJ, « Dogma as an Ecumenical Problem », p.416.

[58] Conférence des Évêques de France, « Réponse de la conférence épiscopale française aux questions du Secrétariat de l’Unité des Chrétiens », Documentation Catholique 1902, 1-15.9.1985, p.867-868.

[59] Cf. l’étude à ce propos du P. Benoît-Dominique De La Soujeole, « Etre ordonné à l’Eglise du Christ », Revue Thomiste 2002/1, p.5-41.

[60] Cf. Denz. 850.

[61] « Hoc Lugdunense Concilium, quod sextum recensetur inter Generales Synodos in Occidentali orbe celebratas » (Acta Apostolicae Sedis 66, 1974, p.620).

[62] Concile Vatican II, Décret Unitatis Redintegratio, no.11.

[63] Jean XXIII, Discours à l'issue de la Cérémonie d'ouverture du Concile Vatican II (11.10.1962), Documentation Catholique 1387, 4.11.1962, col.1382-1383.

[64] Pie XII, Encyclique Humani Generis (12.8.1950), Denz. 3886.

[65] Charles Journet, Le dogme chemin de foi, p.77.

[66] Congregation pour la doctrine de la foi, Déclaration Mysterium Ecclesiae, 24.6.1973, no.5, Documentation Catholique 1636, 15.7.1973, p.667.

[67] Note de Journet : ‘L'acte du croyant ne se termine pas à l'énoncé mais au réel’, II-II qu.1, a.2, ad 2. C'est le mot termine que saint Thomas entend souligner.

[68] Charles Journet, Le dogme chemin de la foi, p.9-10.

[69] Cf. Jean-Paul II, Encyclique Fides et ratio, no.96.

[70] Jean-Paul II, Encyclique Fides et ratio, no.72. La suite de ce même paragraphe indique que le critère n’est pas valable qu’au passé : « Du reste, ce critère vaut pour l'Église à toute époque, et il en sera ainsi pour celle de demain qui se sentira enrichie par les acquisitions réalisées par le rapprochement actuel avec les cultures orientales et qui trouvera dans cet héritage des éléments nouveaux pour entrer en dialogue de manière fructueuse avec les cultures que l'humanité saura faire fleurir sur son chemin vers l'avenir ».

[71] Commission Théologique Internationale, « L'interprétation des dogmes », C.III.3, in : Documentation Catholique 2006, 20.5.1990, p.500.

[72] Paul VI, Encyclique Mysterium Fidei, 3.9.1965, no.25, Documentation Catholique 1965, col.1638.

[73] Paul VI, et Mar Ignace Jacob III, Déclaration commune du 25.10.1971, Documentation Catholique 1600, 2 janvier 1972, p.48.

[74] Cf. Paul VI et Shenouda III, Déclaration commune sur la christologie, 10.5.73, Documentation Catholique 1633, 3.6.1973, p.516 : « depuis l’année 451 après Jésus-Christ, ont surgi des divergences théologiques, qui ont été entretenues et aggravées par des facteurs non théologiques ».

[75] Jean-Paul II et Karekin Ier Sarkissian, Déclaration commune, Rome, 13.12.1996, Documentation Catholique 2153, 2.2.1997, p.117.

[76] Cf. Jean-Paul II, Discours au Catholicos Aram Ier de Cilicie, Rome, 25 janvier 1997, Documentation Catholique 2155, 2.3.1997, p.224 : « je suis heureux que nous soyons parvenus à déclarer explicitement notre foi commune dans l’unique Verbe incarné, vrai Dieu et vrai Homme. De telles déclarations entre l’Eglise catholique et les Eglises copte, éthiopienne et syriaques ont déjà signifié ouvertement l’unité de ces Eglises sans la foi au Christ Seigneur, au-delà des incompréhensions séculaires ».

[77] Jean-Paul II et Mar Dinkha IV, Déclaration commune du 11.11.1994, Documentation Catholique 2106, 18.12.1994.

[78] Le texte de la Déclaration commune de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Eglise catholique romaine sur la justification (DCJ) est publié dans la Documentation Catholique, no.2168 du 19 octobre 1997, p.875-885.

[79] Déclaration sur la justification, no.40.

[80] S. Thomas d’aquin, De Potentia, q.10, a.5.

[81] De Potentia, q.10, a.1, ad 8.

[82] Gilles Emery, Op, « Saint Thomas d'Aquin et l'Orient chrétien », Nova et Vetera LXXIV/4, 1999, p.34.

[83] « In order to reach unity or conciliar fellowship in the full sense of the terms, it is necessary that the churches are able to recognize each other as confessing the same apostolic faith. The World Council of Churches, especially the Faith and Order movement, has as its aim to lead to this mutual recognition » (Faith And Order, « How Does the Church Teach Authoritatively Today?  », in: Günther Gassmann ed., Documentary History of Faith and Order 1963-1993, « Faith and Order Paper » 159, WCC Publications, Geneva, 193, p.253).

[84] Hans Dieter Betz, « Le canon néotestamentaire fonde-t-il une Eglise en morceaux ? », Concilium 271, 1997, p.63.

[85] L'institution de la religion chrétienne, IV.IX.8, p.163, déjà cité ci-dessus.

[86] Gottfried Hammann, « Clarté et autorité de l'Ecriture : Luther en débat avec Zwingli et Erasme », Etudes Théologiques et Religieuses 1996/2, p.175-176.

[87] Bernard Sesboüe, Le magistère à l'épreuve, Desclée de Brouwer, Paris, 2001 p.83-84.

[88] Commission du Conseil Oecuménique des Eglises, à laquelle l’Eglise catholique appartient depuis 1968 (en 1963, elle n’y avait que des observateurs).

[89] On trouve le texte français du rapport de la Section II dans : Lukas Vischer, Foi et Constitution, Textes et documents du Mouvement “Foi et Constitution” 1910-1963, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1968, p.172-185 ; nous nous référerons au texte avec l’abréviation « Montréal », et le numéro du paragraphe. Pour une histoire et une présentation du document et de son impact, cf. George H. Tavard, « The Ecumenical Search for Tradition : Thirty Years after the Montreal Statement », Journal of Ecumenical Studies 30.3-4, 1993, p.315-330.

[90] Montréal, no.48.

[91] Montréal, no.49.

[92] Cf. Montréal, no.49.

[93] Cf. Montréal, no.49.

[94] Montréal, no.49.

[95] Montréal, no.50.

[96] Montréal, no.51.

[97] Montréal, no.52.

[98] Cf. Montréal, no.53.

[99] Cf. Montréal, 55.

[100] Un trésor dans des vases d'argile, Outils pour une réflexion oecuménique sur l'herméneutique, « Foi et constitution Document » no 182, Genève, novembre 1998, no.16.

[101] La note du texte à cet endroit indique: « Base de la Constitution du COE: ‘Le Conseil oecuménique des Eglises est une communauté fraternelle d'Eglises qui confessent le Seigneur Jésus Christ comme Dieu et Sauveur selon les Ecritures et s'efforcent de répondre ensemble à leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit’ ».

[102] Un trésor dans des vases d'argile, no.17.

[103] Un trésor dans des vases d'argile, no.37. Le texte désigne toutefois clairement deux déviations possibles dans la transmission du christianisme, qui toutes deux se situent au plan moral et font l’objet d’un consensus assez large entre théologiens contemporains : « L'Eglise, communauté herméneutique, doit prendre garde aux interprétations erronées de l'Evangile qui risquent d'entraîner des conséquences négatrices de la vie dans certains contextes, par exemple des interprétations qui justifient le racisme ou l'exploitation économique, comme on l'a vu plus haut. L'Eglise, communauté herméneutique, doit également prendre garde aux interprétations erronées de l'Evangile qui menacent ou détruisent la plénitude de la vie commune en Christ » (ibid., no.52).

[104] Cf. Un trésor dans des vases d'argile, no.60-61.

[105] Cf. Commission de Foi et Constitution, Confesser la foi commune, no.5, p.6 : « Pour répondre à leur vocation, les Eglises qui appartiennent à des traditions chrétiennes différentes et vivent dans des contextes culturels, sociaux, politiques et religieux très divers doivent retrouver leur enracinement commun dans la foi apostolique afin de pouvoir confesser leur foi ensemble ».

[106] Commission de Foi et Constitution, Confesser la foi commune, no.4, p.6.

[107] Jean-Paul II, Encyclique Ut Unum Sint, 25 mai 1995, no.11.

[108] Jean-Paul II, Encyclique Ut Unum Sint, no.18.

[109] Jean-Paul II, Encyclique Ut Unum Sint, no.88.

[110] Jean-Paul II, Encyclique Ut Unum Sint, no.95.

[111] Jean-Paul II, Encyclique Ut Unum Sint, no.94.

[112] Cf. son Allocution au Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens, le 28.4.1967, in: Acta Apostolicae Sedis LIX, 1967, p.498 : « Le Pape, Nous le savons bien, est sans doute l'obstacle le plus grave sur la route de l’œcuménisme. Que dirons-Nous ?… Il ne Nous est pas facile de faire Notre apologie. C'est vous qui, avec des paroles empreintes de sincérité et de mansuétude, saurez la faire quand l'occasion et la possibilité s'en présenteront. Quant à Nous, en toute sincérité, Nous préférons maintenant Nous taire et prier ».

[113] Paul VI, Encyclique Ecclesiam Suam, Documentation Catholique 1431, 6 septembre 1964, col.1091.

[114] Arcic, « Le don de l’autorité », no.42, DC 2204, 16.5.1999, p.474-475.

[115] Arcic, « Le don de l’autorité », no.47, DC 2204, 16.5.1999, p.476.

[116] Paul VI, Audience générale du 22 janvier 64, in: Documents pontificaux de Paul VI, t.2, Editions Saint-Augustin, Saint-Maurice, 1968, p.72-73.